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MÉTHODE

Cette fiche présente quelques notions basiques de versification pour vous aider à commenter un texte poétique.

Avertissements :

  1. Dans le commentaire, ces remarques n’auront d’intérêt que mises en relation avec le sens du poème ! On ne consacrera donc jamais une partie ou même un paragraphe entiers à la seule description de la versification sans interprétation.
  2. Les formes poétiques ont considérablement évolué au cours du XIXe siècle, avec le développement du poème en prose (poème disposé en paragraphes généralement courts, sans vers ni rimes) et du vers libre (vers de longueurs inégales, avec en général disparition de la rime). Mais l’on pourra la plupart du temps retrouver, même dans ces formes modernes, les caractéristiques musicales de la poésie évoquées ci-dessous.

 

VERS ET STROPHES

 

Le vers

En français, le vers se définit par son nombre de syllabes.

Le vers le plus répandu est l’alexandrin, composé de 12 syllabes ; il est généralement scindé en deux hémistiches de 6 syllabes chacun, séparés par la césure.

La poésie utilise souvent d’autres vers pairs, notamment l’octosyllabe (8) et le décasyllabe (10).

Les vers impairs comme l’heptasyllabe (7) sont plus rares ; ils créent un léger effet de déséquilibre.

Les vers courts sont également assez rares, mais parfois utilisés après un vers plus long pour créer un contraste.

On compte les syllabes en respectant les règles suivantes :

  • La prononciation du E : il se prononce lorsqu’il est suivi d’une consonne ; il ne se prononce pas lorsqu’il est suivi d’une voyelle ou à la fin d’un vers.
  • Lorsque deux voyelles se suivent : on parle de diérèse lorsqu’elles se prononcent en deux syllabes (expansion prononcé « ex-pan-si-on ») ; c’est une synérèse lorsqu’elles n’en forment qu’une (pied prononcé « pyé »).

 

La strophe

La strophe se définit comme un ensemble de vers, délimité par des blancs typographiques et formant une combinaison particulière de rimes (voir ci-dessous).

À connaître absolument : la strophe de 3 vers est un tercet, la strophe de 4 vers est un quatrain.

NB : la forme poétique la plus répandue dans la poésie française, le sonnet, se compose de 14 vers répartis en deux quatrains suivis de deux tercets.

On peut aussi éventuellement retenir que la strophe de 5 vers se nomme quintil, et celle de 6 vers sizain.

 

Exemples commentés

C’était l’heure tranquille où les lions vont boire (Hugo)

Ce vers est un alexandrin : C’était l’heure tranquill(e) où les li-ons vont boir(e)
Le E à prononcer est souligné, les autres sont entre parenthèses.
Le mot « lion » doit être prononcé en diérèse (li-on).
La césure se situe entre « tranquille » et « où ».
Les deux hémistiches sont donc « C’était l’heure tranquill(e) » et « où les li-ons vont boir(e) ».

Est-ce une chose si cruelle ? (La Fontaine)

Ce vers est un octosyllabe : Est-c(e) une chose si cru-ell(e) ?
Les E à prononcer sont soulignés, les autres sont entre parenthèses.
Le mot « cruelle » doit être prononcé en diérèse (cru-elle).

La mer, la mer, toujours recommencée ! (Valéry)

Ce vers ne présente ni E muet, ni diérèse ou synérèse.
Il suffit donc de compter les syllabes, au nombre de 10 : c’est un décasyllabe.

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair,
Plus vague et plus soluble dans l’air
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. (Verlaine)

Ces vers sont impairs ; ils sont composés de 9 syllabes.
Verlaine est le poète qui a le plus développé l’emploi du vers impair, qu’il recommande dans cette strophe.
Cette strophe composée de 4 vers est un quatrain.

A te voir marcher en cadence
Belle d’abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton. (Baudelaire)

Cette strophe composée de 4 vers est un quatrain.
En alternant octosyllabes (v. 1 et 3) et pentasyllabes (vers de 5 syllabes : v. 2 et 4), Baudelaire crée un rythme singulier évoquant l’ondulation de la marche, que renforce la comparaison avec le serpent.

 

 

LA MUSICALITÉ DE LA POÉSIE

Le langage poétique se distingue par sa musicalité, qui se manifeste à travers le rythme et les sonorités.

 

Le rythme

Le rythme est influencé par les accents toniques sur certaines syllabes (trop complexes à présenter ici), mais aussi par la ponctuation et la longueur des vers et des phrases.

On retiendra surtout les procédés de débordement du vers par la phrase :

  • L’enjambement, quand la phrase déborde jusqu’à la moitié au moins du vers suivant.

Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons (Hugo)

  • Le rejet, quand un élément court de la phrase est repoussé au vers suivant.

Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m’épatais dans mon immense chaise. (Rimbaud)

  • Le contre-rejet, quand un élément court de la phrase est avancé au vers précédent.

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone. (Verlaine)

 

Les sonorités (1) : assonances et allitérations

La répétition d’une voyelle est une assonance :

Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire (Racine)

La répétition d’une consonne ou de consonnes voisines (F/V, T/D) est une allitération :

La musique souvent me prend comme une mer ! (Baudelaire)

Quelquefois, la répétition de sons peut chercher à suggérer un bruit particulier, comme ici le son de la pluie :

Il pleut tout simplement il pleut sans un pli sans une plaie. (Aragon)

Quand les sonorités n’offrent pas d’interprétation évidente, on évitera des associations naïves (telle lettre = telle émotion…), mais on cherchera à trouver quel mot, quelle idée les sons répétés mettent en valeur.

Une eau courait, fraîche et creuse,
Sur les mousses de velours
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds. (Hugo)

Dans ce quatrain, les assonances en A et OU et les allitérations en M et R font résonner le mot « amour », présent à travers le mot « amoureuse » au 3e vers, et thème principal du poème.

 

Les sonorités (2) : les rimes

Le travail des sonorités en poésie repose beaucoup sur les rimes, échos sonores entre les deniers sons des vers.

  • Trois dispositions des rimes sont possibles : rimes plates (AABB), croisées (ABAB), embrassées (ABBA).
  • On parle de rimes féminines les rimes terminées par un E muet et de rimes masculines pour toutes les autres. Les règles de poésie classique imposent leur alternance.
  • On parle de rimes pauvres (un seul son commun), suffisantes (deux sons) ou riches (3 sons). Attention, ce sont les sont et non les lettres qui comptent (ainsi la rime « matin / chagrin » est pauvre même s’il y a deux lettres en commun, car elles ne forment qu’un seul son).

Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse :
Là, la gaie alouette au ciel a fredonné,
Et là le rossignol doucement jargonné,
Dessus l’épine assis, sa complainte amoureuse. (Ronsard)

Dans ce quatrain, les rimes sont embrassées (ABBA).
La rime « paresseuse / amoureuse » est féminine (achevée par un E muet) et suffisante (2 sons se répètent : EU et Z).
La rime « fredonné / jargonné » est masculine et riche (3 sons se répètent : O + N + É).

Lorsqu’un mot placé à l’intérieur d’un vers rappelle la rime finale, on parle de rime interne :

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant (Verlaine)

 

EXERCICE BILAN

 

Répondez aux questions sur ce poème du recueil Les Fleurs du mal de Baudelaire (1857).
Vous pourrez ensuite découvrir les réponses…

LES CHATS

Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;
L’Érèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;

Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

 

  1. Comment appelle-t-on la forme de ce poème ? Justifiez.
  2. Quel est le vers employé (nombre de syllabes par vers) ?
  3. Comptez les syllabes du vers 5.
  4. Quelles particularités rythmiques ce poème comporte-t-il ?
  5. Relevez les jeux de sonorités des vers 6 et 7.
  6. Quelle est la disposition des rimes dans l’ensemble du poème ?
  7. Dans ce poème, trouve-t-on davantage de rimes féminines ou masculines ?
  8. Quelle est la richesse des rimes dans le deuxième quatrain ?

 

RÉPONSES

(1) Ce poème est un sonnet, car il est composé de 14 vers répartis en deux quatrains (strophes de 4 vers) et deux tercets (strophes de 3 vers). (2) Le vers employé est l’alexandrin. Les 12 syllabes du premier vers se décomposent ainsi : Les / a / mou / reux / fer / vents // et / les / sa / vants / aus / tèr(es). La césure se trouve entre la 6e et la 7e syllabe, après « fervents ». (3) Le décompte des syllabes du vers 5 est délicat car le mot « science » comporte à la fois une diérèse et un E muet : A / mis / de / la / sci / enc(e) // et / de / la / vo / lup / té. (4) Ce poème ne comporte pas de rejet ni de contre-rejet, mais de multiples enjambements, à chaque strophe : v. 1-2-3-4 ; v. 5-6 ; v. 7-8 ; v. 9-10-11 ; v. 13-14. (5) Les vers 6 et 7 comportent notamment une assonance en É-È (cherchent, ténèbres, Érèbe, coursiers, funèbres) et une allitération en R (cherchent, horreur, ténèbres, Érèbe, pris, pour, coursiers, funèbres). Ces jeux mettent en valeur la rime « ténèbres / funèbres » qui souligne la dimension « infernale » des chats (NB : dans la mythologie grecque, Érèbe est une divinité personnifiant les ténèbres, l’obscurité des Enfers). (6) Les rimes des quatrains sont embrassées (ABBA / CDDC). Ensuite, on trouve une rime plate v. 9-10 (EE) et enfin des rimes croisées v. 11-14 (FGFG). (7) Les rimes féminines l’emportent, au nombre de 4 : « austères / sédentaires », « ténèbres / funèbres », « attitudes / solitudes », « magiques / mystiques ». Les rimes masculines sont au nombre de 3 : « saison / maison », « volupté / fierté », « sans fin / sable fin ». Le poème alterne rimes féminines et masculines. (8) La rime « ténèbres / funèbres » est très riche (quatre sons : N + È + B + R) ; la rime « volupté / fierté » est suffisante (2 sons : T + É).